La mise à pied conservatoire
La mise à pied conservatoire n’est pas une sanction. Sans exigence d’entretien préalable, d’explication ou de motivation, l’employeur va pouvoir suspendre provisoirement le salarié de toute activité dans la minute de sa notification.
Autorisée par l’article L 1332-3 du code du travail, la notification de la mise à pied conservatoire peut être effectuée verbalement mais pour des raisons de preuve elle est le plus souvent notifiée soit par simple lettre remise en main propre contre décharge soit par lettre recommandée avec accusé de réception en même temps que la convocation l’entretien préalable au licenciement.
La mise à pied conservatoire est une mesure violente qui permet à l’employeur d’écarter sans délai ou préavis le salarié de ses fonctions dans l’attente d’une sanction définitive.
Le salarié qui ne s’attend pas à sa brusque mise à l’écart est souvent dans l’ignorance des motifs à l’origine de la mesure. Généralement effective pour toute la durée de la procédure de licenciement pour faute grave ou lourde sur laquelle elle s’adosse elle permet à l’employeur d’empêcher que le salarié ne récupère des preuves ou n’en détruise au sein de l’entreprise.
Le plus souvent notifiée en raison de faits graves et d’un comportement fautif qui sont reprochés au salarié, la Cour de cassation admet le prononcé d’une mise à pied conservatoire même si le licenciement prononcé ultérieurement ne constitue pas une sanction disciplinaire et est notifié pour cause réelle et sérieuse (insuffisance professionnelle).
Au-delà de la suspension de toute activité du salarié à compter de la notification de la mise à pied conservatoire les effets de cette mesure peuvent obliger le salarié à devoir restituer le matériel mis à sa disposition (téléphone, ordinateurs outils spécifiques) ainsi que son véhicule de fonction si une clause du contrat de travail prévoit cette dernière possibilité. A défaut, l’employeur ne peut exiger la restitution du véhicule de fonction qui constitue un avantage en nature.
Les pièges de la mise à pied conservatoire
Habituellement pendant cette période de mise à pied le salarié n’est pas rémunéré sauf dispositions conventionnelles plus favorables. Cependant si la mesure de licenciement finalement décidée n’est ni une faute grave ni une faute lourde, le défaut de rémunération de la mise à pied a pour effet de lui faire perdre son caractère conservatoire et d’épuiser le pouvoir disciplinaire de l’employeur. En d’autres termes, l’employeur ne peut plus prononcer une sanction ultérieure, cette dernière est alors nécessairement dénuée de cause réelle et sérieuse.
Le caractère conservatoire d’une mise à pied est lié au déclenchement simultané de la procédure de licenciement. Ainsi lorsqu’une mise à pied conservatoire est notifiée sans référence à l’engagement d’une procédure de licenciement et/ou qu’elle n’est pas immédiatement suivie d’une lettre de convocation à entretien préalable la mise à pied perd son caractère conservatoire pour devenir disciplinaire (Cass. soc. 30 octobre 2013 P. 12-22962 ; Cass. soc. 13 février 2008, P. n° 06-42969). Là encore la Cour de cassation considère que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne peut notifier une sanction pour les mêmes faits.
Le salarié doit respecter sa mise à pied conservatoire à défaut il peut se voir reprocher une faute supplémentaire. Toutefois, si les motifs qui ont conduit l’employeur à licencier le salarié ne sont pas validés par le juge, le seul non-respect de la mise à pied conservatoire ne constitue pas un motif de licenciement.
Certains salariés protégés bénéficient de garanties supplémentaires en cas de mise à pied conservatoire.
Une consultation du CSE doit être effectuée dans les 10 jours de la notification de la mise à pied conservatoire pour les membres du CSE.
Pour les délégués syndicaux, conseillers du salariés, salariés mandatés, la mise à pied conservatoire doit être motivée et notifiée à l’inspection du travail dans les 48 heures. La demande d’autorisation de licenciement à l’inspection du travail doit elle-même être notifiée dans les 8 jours de la mise à pied conservatoire.
Pendant la mise à pied conservatoire, les représentants du personnel conservent les prérogatives de leurs mandats. Le défaut de convocation aux réunions du CSE ou l’atteinte au libre accès à l’entreprise caractériseraient un délit d’entrave.
Quel délai entre la mise à pied conservatoire et le licenciement ?
Le maître mot en cas de mise à pied conservatoire est la célérité de la procédure. Contrairement à une mise à pied disciplinaire, le règlement intérieur n’a cependant pas à préciser la durée de la mise à pied conservatoire.
Compte tenu de la gravité de la mesure sur le contrat de travail, une durée excessive pourrait caractériser un abus et faire perdre le caractère conservatoire à la mesure de mise à pied.
C’est la raison pour laquelle lorsque l’employeur notifie une mise à pied conservatoire d’une durée excessive, les juridictions administratives considèrent que cette durée entache d’irrégularité au fond la procédure de licenciement.
Ont ainsi été jugé excessives des mises à pied de 19 jours (CE 23 août 2006 n°278.221, Lycée Agricole Tricastin-Baronnies), de 25 jours (CE 29 JUIN 2016 n°381766), et de 26 jours (CAA MARSEILLE 6 octobre 2016 n°15MA01668) avant la saisine de l’inspection du travail.
Lorsque la mise à pied conservatoire est jugée abusive, une fois requalifiée en mise à pied disciplinaire, cette requalification entraîne l’impossibilité pour l’employeur de sanctionner à nouveau le salarié pour les mêmes faits.
Si l’employeur prononce le licenciement à l’issue de la mise à pied conservatoire abusive, il enfreint de fait le principe de prohibition des doubles peines. Un fait déjà sanctionné (par une mise à pied disciplinaire), ne peut plus l’être par une autre sanction (par un licenciement).
Dans un arrêt du 6 juin 2013 (CA BORDEAUX, Ch. Soc. Section B, R.G. n° 12/04299, SNC LIDL c/ Monsieur Vichetra X…, Lamyline), la Cour d’Appel de BORDEAUX a utilement rappelé les limites de la mise à pied conservatoire.
Dans cette espèce, l’employeur avait attendu un mois et 2 jours après le début de la mise à pied conservatoire avant de licencier le salarié (convocation le 23 septembre, entretien le 4 octobre licenciement le 25 octobre), une durée jugée manifestement excessive par la Cour d’Appel, conformément à la position de la Cour de Cassation.
Dans le même sens un jugement du 9 juin 2020 du Conseil de Prud’hommes de BOBIGNY (RG 18/00287) jugeait qu’un délai d’un mois et 12 jours de mise à pied à titre conservatoire était excessif.
Les conditions de mise en œuvre d’une mise à pied conservatoire peuvent également être abusives lorsque cette mesure s’accompagne de procédés vexatoires.
La Cour de cassation a pu juger que le caractère public d’une mise à pied conservatoire constituait un procédé vexatoire (Cass. soc. 6 janvier 2010, P n° 08-44218) justifiant la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts :
Mais attendu que la cour d’appel, … a constaté que cet incident était survenu de manière publique et que les interrogatoires avaient été effectués de façon insuffisamment discrète puisque des collègues avaient vu les protagonistes retenus dans un bureau gardé par un agent de sécurité pendant plus d’une heure ce qui avait contribué aux rumeurs de vol, qu’il s’agissait d’une mesure particulièrement stigmatisante qui ne se justifiait nullement et qui avait frappé un collaborateur dévoué à la société depuis 22 ans, au passé sans tâche qui s’était vu privé de son outil de travail pendant neuf jours ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Mise à pied conservatoire et arrêt maladie
Sauf disposition plus favorable l’employeur n’est pas tenu au paiement d’une rémunération pendant la mise à pied conservatoire.
En cas d’arrêt maladie l’employeur ne sera pas obligé de régler les indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale.
Si la mise à pied conservatoire est annulée le salarié peut en revanche prétendre à l’intégralité de son salaire durant cette période, peu important que ce dernier ait pu être placé en arrêt maladie Cass. soc. 18 février 2016, P. n°14-22708).
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